Clémentine Humeau examinant un échantillon de matières premières.

Ligne de timidité des matières premières

Il n'y a pas de "mauvaises" matières premières pour la parfumeuse que je suis. Aucune. Même celles qui... ne sentent pas la rose, comme on dit !

Chaque matière première a son mot à dire, un sentiment à offrir dans une création.

Pour autant, il y en a que j'affectionne particulièrement. La liste est longue. Voici quelques exemples.

L'absolu de Mimosa, que je définis dans mon osmothèque comme :

Odeur qui s'offre et se retire. Va et vient constant. Vert concombre, Beige lin, Ocre huile oméga 3, Blanc cireux, Noir thé, Brun amande, Couleur henné feuille de violette, Purple poudré, Bleu aqueux melon, Venteux paille foin et pollen, frais et gourmand, gâteau soja pâteux et minéral en bouche... J'aime plus que tout cette matière première. Un parfum en soi. 

Il y a aussi bien sûr la concrète d'iris que je définis dans mon osmothèque comme :

Plonger dans les âpres racines. Paille humide, whisky, terreux, poudre de riz, poussière blanche, peau de carotte du marché bio du mercredi matin, pluie sur le béton, vieilles pierres. Au feu rouge du haut de la rue de Bègles à Bordeaux, vers les 11h, les étés chauds, rester au feu, fermer ses yeux, ouvrir son nez. Magnifique iris qui s'échappe du tuffeau, comme si les vieilles pierres nous chuchotaient leurs aspérités d'une voix nasale avec leurs haleines poudrées.

Il y a aussi L'absolu de Son de Blé, génialement beau que je définis dans mon osmothèque comme :

Si l'odeur du Son de blé était un tableau il serait le "Petit pan de mur jaune" de Vermeer.  Papillon jaune. Vif. Poreux. Hybride. Un aplat d'odeur. Sentiment de mélancolie rapeuse. Céréales farineuses, pastel gras de ma grand-mère, miel granuleux propolis, une fouine derrière la botte de foin, tabac feuilles, note florales et fruités abstraites et sombres.

Alors, quand je veux utiliser ces matières, je crois que je les aime tant que je ne les sens plus. Elles se dérobent à moi dans un point de fuite, une sorte de cache-cache olfactif. Cela me fruste. Je les cherche. Je les appelle. Plus je veux les mettre en avant, plus elles me fuient. Parfois, je me dis qu'elles sont timides et que leurs pudeurs m'empêchent de les aborder. Parfois, je me dis que j'aime les odeurs sourdes. Mais non. Ce n'est qu'un mirage olfactif. 

Cela me fait penser à ce phénomène végétal mystérieux appelé « la timidité ».  "La ligne de timidité" survient lorsque les arbres évitent de se toucher. Quand chacun respecte l'espace vital de son voisin. C'est un étonnant phénomène, les frondaisons de certains arbres n'entrent jamais en contact, dessinant des frontières entre les feuilles et créant des sillons de lumière. Encore emprunt de mystère cela dévoile une communication végétale évidente, car au delà d’une douce pudeur foliaire, cette timidité semble aussi ce propager sur certaines essences aux racines.

Alors, je me pose sans cesse cette question : Y a t'il une ligne de timidité entre l'artiste et sa matière ?  

 


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